Introduction à la Neurochirurgie

  1. LA CHIRURGIE « D’OUVERTURE »
    1. HIPPOCRATE
    2. LES PREMIERES TENTATIVES
  2. LA CHIRURGIE DE L’ENCEPHALE (Neurochirurgie tissulaire)
    1. LES PROGRES MEDICAUX INDISPENSABLES
    2. HARVEY CUSHING – LE MAITRE
    3. CLOVIS VINCENT – L’EPOQUE HEROIQUE DE LA NEUROCHIRURGIE FRANCAISE
    4. LE NEUROCHIRURGIEN, EXPLORATEUR DU CERVEAU HUMAIN
  3. LA MATURITE DE LA SPECIALITE – LA NEUROCHIRURGIE « LESIONNELLE »
    1. LES PROGRES DE LA THERAPEUTIQUE GENERALE ET DE LA NEUROPHYSIOLOGIE GENERALE
      1. LES TUMEURS DU CERVEAU
      2. LA NEUROCHIRURGIE VASCULAIRE
      3. LA NEUROCHIRURGIE TRAUMATIQUE ET REPARATRICE
    2. LES TECHNIQUES D’EXPLORATION
    3. LA NEUROCHIRURGIE « FONCTIONNELLE »
  4. LES APPORTS ACTUELS DE LA SPECIALITE

Introduction
L’exposé suivant n’a pas l’intention de présenter des notions exhaustives sur l’histoire de la neurochirurgie, mais seulement de souligner des figures et des moments historiques significatifs. Aussi, on ne peut pas présenter toute l’histoire de la neurochirurgie française, qui s’étend sur de nombreux siècles mais seulement quelques noms représentatifs. Nous nous excusons d’avance envers les oubliés ou omis et aussi envers les contemporains parce que pour les présenter tous aurait été une tache gigantesque, qui aurait nécessité un livre et non une simple « introduction ».

La neurochirurgie à Marseille est dominée par la personnalité du Professeur Jean Paillas (1909-1992). En introduction, pour de futurs neurochirurgiens, nous ne pouvons pas faire mieux que de proposer des extraits de textes lus ou écrits par Jean Paillas.

Tous les neurochirurgiens exerçant actuellement dans le Centre Hospitalier Universitaire de Marseille sont des élèves ou formés par l’un ou l’autre des élèves du Professeur Paillas . On peut parler à ce titre d’une Ecole Neurochirurgicale Marseillaise. Jean Paillas était l’intelligence servie par le travail. Interne des Hôpitaux à l’âge de 21 ans, agrégé à 30, titulaire à 42 ans de la seconde chaire de neurochirurgie en France . Aucun domaine de la spécialité ne lui fut étranger. Sa connaissance de la neurologie et de l’anatomie pathologie ainsi qu’une prodigieuse capacité de travail lui permettaient une sûreté de diagnostic qui faisait l’admiration de tous. Les qualités chirurgicales faites d’adresse, de précision, de sang froid ont été servis par une mémoire et une rigueur sans faille dans le diagnostic. Il fut un grand maître et attirait de nombreux élèves. Pendant 35 ans, il a animé la chaire de Neurochirurgie de Marseille.

« … cette partie de moi qui pense ce que je dis, qui fait réflexion sur tout et sur elle-même et ne se connaît non plus que le reste » (PASCAL)

La neurochirurgie est peut-être la plus ancienne pratique de l’art médical au sens large. Des trépanations étaient réalisées à la période néolithique, à l’âge de pierre. On a pu dater certaines trépanations réalisées en France vers 7000 ans avant J.C. Cependant ces pratiques ne furent pas limitées à l’Europe.

La civilisation pré Inca usa de techniques de trépanation de façon importante vers 2000 ans avant J.C. Au Pérou des recherches archéologiques au site de Lima le montrent, une plaque d’argent sur une perte de substance osseuse le prouve. D’après les déductions des préhistoriens, ces trépanations étaient utilisées pour des troubles mentaux, l’épilepsie, les céphalées, les maladies organiques, l’ostéomyélite, certains traumatismes crâniens.
Mais ces pratiques étaient utilisées également pour des raisons magiques ou religieuses. Par ailleurs, elles se limitaient aux rois, aux prêtres et aux dignitaires de haut rang. On a retrouvé en Amérique du Sud un outil en bronze et obsidienne utilisé pour « user » la table externe de l’os du crâne.

En Afrique, c’est essentiellement la civilisation Egyptienne qui a donné le plus de vestiges exploitables. Le plus ancien concernant le cerveau date de 3000 ans avant J.C. Les connaissances anatomiques étaient rudimentaires mais des fonctions du système nerveux étaient décrites.

La preuve est aujourd’hui faite que ces trépanations ont été œuvre humaine : par la microradiographie on a vu que la brèche osseuse présente des bords différents de ceux réalisés par une ostéite, mais par contre tout à fait semblables à ceux obtenus par un instrument contondant. Mais, mieux encore, des observateurs dignes de foi ont vu, il y a peu de temps, des peuplades sauvages, dont la civilisation étaient encore proche de l’âge néolithique, effectuer sous leurs yeux une trépanation crânienne avec des moyens primitifs : pour peu que le silex soit bien aiguisé, un indigène de certaines îles de l’Océanie est capable, de nos jours, de découper une rondelle crânienne en dix minutes ! il est d’autre part certain qu’un patient soumis à pareille opération peut survivre car les crânes préhistoriques témoignent parfois d’un processus de réparation étalé sur plusieurs années. La France peut même s’énorgueillir de posséder, dans le Musée de Penmarc’h, le record de ces vastes trépanations préhistoriques, puisque sur le crâne observé toute la voûte a été réséquée : le sujet avait ensuite vécu plusieurs années ! Dans l’ouvrage de Horrax on lit même que l’anesthésie locale était probablement connue et réalisée à partir de la cocaïne contenue dans le coca !

I – LA CHIRURGIE « D’OUVERTURE »

Que fut-il acquis par la seule trépanation crânienne ? Ces acquisitions concernent presque exclusivement la traumatologie, car la connaissance immédiate de la cause favorisa l’observation de ses conséquences.

1) HIPPOCRATE

Hippocrate savait déjà qu’une fracture du Crâne ne requiert pas obligatoirement la trépanation : bien que cette vérité soit parfois encore oubliée de nos jours, il est évident que seules les lésions du contenu, c’est-à-dire de l’encéphale sont à retenir et peu importe si le contenant, la boîte, est cassée !
Hippocrate savait aussi ouvrir le crâne avec un trépan fort ingénieux, pas tellement différent des nôtres, et qui comportait un collet de sécurité permettant de ne pas entamer le cerveau une fois l’os franchi. Ayant observé que l’hémisphère cérébral d’un côté répondait aux membres de l’autre côté, il disait qu’il fallait faire porter la trépanation du côté opposé aux symptômes. Enfin quant le fragment métallique d’une arme était resté inclus dans la pulpe cérébrale, il conseillait de l’en retirer et avec lui le sang et la matière cérébrale infectée. Hippocrate étant le père génial de la médecine, il n’est pas étonnant qu’il fût également, quatre siècles avant Jésus-Christ, le grand ancêtre de la neurochirurgie.

Pendant des siècles, la chirurgie nerveuse n’a fait que répéter, souvent moins bien, les gestes déjà acquis, malgré l’apparition de loin en loin d’observateurs précis ou de techniciens habiles, comme Lanfranchi, qui savait, en 1526, distinguer les nerfs des tendons et pratiquait la suture nerveuse ; comme Ambroise Paré qui savait, vers 1550, réduire les dislocations vertébrales par traction ; comme Jean-Louis Petit, qui guérit au XVIIIe siècle un abcès du cerveau par incision de la dure-mère.
Au moyen âge, il y a même un monstrueux oubli des règles hippocratiques. Le chirurgien-barbier n’est plus qu’un humble artisan peu hardi , auprès des médecins gorgés de latin et de théories empiriques.
Ambroise Paré, ancêtre incontesté de la chirurgie moderne, donne d’excellentes descriptions de trépanation et met au point son trépan à couronne resté en usage jusqu’à l’utilisation de celui de Doyen en 1895. Mais les gestes de la chirurgie crânienne restent toujours les mêmes : tentatives de trépanation après de très graves traumatismes, débridement et nettoyage des plaies crânio-cérébrales, à l’extrême, essai d’extraction d’une balle ou d’un autre projectile. Accablante monotonie de cette chirurgie qui demeure d’ailleurs l’apanage des plus audacieux.
Cà et là, dans les vieux auteurs, on retrouve parfois quelques observations neurochirurgicales « avant la lettre », leur intérêt, sans être absolument négligeable, n’a qu’une valeur anecdotique ou pittoresque.
Nous possédons le protocole de l’autopsie qu’Ambroise Paré fit du roi Henri II, parfaite observation d’un empyème sous dural avec contusion occipitale gauche par contrecoup d’une blessure superficielle de l’orbite droite.

2) LES PREMIERES TENTATIVES

C’est en Angleterre, sous l’influence de William Mac Ewen (1848-1924) et surtout de Victor Horsley (1857-1924) que prend naissance la nouvelle discipline. L’Ecossais Mac Ewen, de Glasgow, était, au dire de ses contemporains, au-dessus des autres hommes par ses facultés physiques et intellectuelles. Le premier, en 1879, il opéra avec succès une tumeur du cerveau qui faisait saillie à travers l’os frontal, vraisemblablement une tumeur méningée. Il osa également s’attaquer aux abcès cérébraux. Mac Ewen ne devait pas localiser, c’est-à-dire « indiquer sans la voir avec ses yeux, en se fondant sur des troubles fonctionnels ou physiques », la première tumeur cérébrale. Cet honneur revient à Sir Richkmann Godlee, neveu de Lister, qui le 23 novembre 1884, enleva une tumeur cérébrale dont le siège avait été précisé par le neurologiste Hughes Bennet. Le malade mourut d’infection : ainsi que le souligne Wertheimer, la localisation neurologique était en avance sur l’asepsie.
La discipline neurochirurgicale prit officiellement ses premières lettres de noblesse lorsque Horsley fut nommé en 1886, au National Hospital de Londres, dans le but d’opérer les « paralysés et les épileptiques ».
Horsley était venu à la chirurgie du système nerveux par la physiologie expérimentale en même temps qu’il s’initiait à la neurologie auprès de plusieurs neurologistes dont le plus connu est Sir William Richard Gowers. Conseillé par celui-ci, il enleva pour la première fois en 1887, une tumeur médullaire et guérit son malade. Malheureusement, Horsley n’a jamais rapporté en détail le protocole de ses interventions. Il opérait vite, assez brutalement, sans se préoccuper de remettre l’os en place. Ce fut le chirurgien allemand Wagner qui, en 1889, décrivit une technique correcte pour tailler un volet crânien, permettant d’éviter la brèche crânienne des premiers opérés.
Les exemples de Mac Ewen et de Victor Horsley éveillèrent chez les chirurgiens et les neurologistes du monde entier un immense intérêt et partout on essaya de les imiter. « Hélas ! le dit Clovis Vincent, le succès ne répondit pas aux espérances… Et presque tous les malades mouraient… » L’américain Allen Starr, en 1906, note que seulement 5 % des tumeurs sont enlevées avec des résultats favorables. En France, on renonça presque aussitôt. Seul un chirurgien de notre pays, Antony Chipault, travailleur solitaire et prématurément disparu, eut l’intuition, entre 1890 et 1905, de la chirurgie nerveuse comme spécialité. Son œuvre écrite est considérable et ses livres fourmillent de vues d’une hardiesse singulière pour l’époque. « Un apôtre et un novateur, pour lesquels les Français se montrent d’une noire ingratitude », dit de lui René Leriche.
Parmi les grands précurseurs on ne saurait oublier Mathieu Jaboulay, chirurgien de l’Hôtel-Dieu de Lyon, inventeur de la « cicatrice à filtration » pour drainer l’hypertension du liquide céphalo-rachidien, ancêtre de la trépanation décompressive mise au point par Cushing.
On ne peut enfin refuser le titre de neurochirurgien aux précurseurs étrangers qui abandonnèrent pue à peu la chirurgie générale : les plus connus sont Allen Starr de New York, Fédor Krause de Berlin, Von Eiselsberg de Vienne, Francesco Durante de Rome, et surtout l’Estonien Pussep.

II – LA CHIRURGIE DE L’ENCEPHALE (Neurochirurgie tissulaire)

En fait, tout en restant confondu devant la virtuosité de ces premiers opérateurs, il serait abusif de voir dans ces tentatives les premiers réalisations neurochirurgicales.
La véritable neurochirurgie ne naîtra qu’à la fin du XIX siècle, lorsqu’on osera, méninges ouvertes, intervenir sur le cerveau. Jusqu’à cette période récente, il s’est seulement agi de trépanation, c’est-à-dire de l’ouverture d’un os, en l’espèce le crâne, ouverture qui permet à la véritable neurochirurgie de se pratiquer : la trépanation n’est que le moyen de la neurochirurgie, et c’est une dérision que d’assimiler une des spécialités les plus nobles et les plus subtiles de la médecine moderne à cette technique mécanique.

1) LES PROGRES MEDICAUX INDISPENSABLES

Pour que la véritable neurochirurgie naisse et se développe, il a fallu deux conditions qui datent d’un siècle : d’une part l’édification d’une médecine du système nerveux de plus en plus précise dans ses fondements anatomiques, physiologiques et cliniques permettant ainsi de comprendre pourquoi et comment on doit aborder telle ou telle région de l’axe encéphalo-médullaire ; d’autre part l’avènement de l’ère pasturienne qui, évitant l’infection, autorisa l’ouverture des méninges.
La véritable neurochirurgie n’a pu naître et se développer que du jour où le cerveau normal et pathologique fut mieux connu, où les réactions nerveuses purent être prévues et la redoutable infection sut être évitée. C’est pourquoi, il paraît juste de dire que, sans Claude Bernard, qui imprima son prodigieux essor à la physiologie expérimentale, sans Fritsch et Hitzing, sans Ferrier, qui localisèrent pour la première fois de façon précise des fonctions corticales, sans Pasteur, et la révolution qui suivit, sans H. Jackson, ce neurologue inductif, passionné et précis, venu de la psychiatrie, sans Babinski, observateur méthodique et inspiré, sans tous ces géants de la biologie, il n’y aurait pas eu les fondateurs de la neurochirurgie moderne : Horsley, Cushing et Vincent.
On peut admettre que la première opération neurochirurgicales vraie date du 23 novembre 1884 : Sir Rickmann Godlee enleva avec succès une tumeur cérébrale diagnostiquée par Bennet ; pour la première fois, une tumeur du cerveau cachée dans le crâne fut diagnostiquée et localisée sans le secours des yeux, par les seuls signes tirés l’interrogatoire et de l’examen neurologique du malade : la neurochirurgie venait de naître. Mais ses premiers pas furent difficiles, bien que son existence fût devenue officielles : la même année, on voyait, en effet, un chirurgien, Horsley, être nommé au « National Hospital » dans le but d’opérer « les paralysés et les épileptiques », et prendre place à la Société de Neurochirurgie de Londres, aux côtés de Jackson.
Il suffit de lire les statistiques de l’époque pour apercevoir le chemin qui restait à parcourir.
En 1889, Von Bergmann colligeait dans le monde seulement 7 cas de tumeurs cérébrales diagnostiquées et enlevées : 4 patients moururent immédiatement ou avant le 3e mois ; 3 furent temporairement guéris ; en fait, un seul, débarrassé d’un méningiome par Keen, fut réellement guéri.
Même en 1906, Allen Starr notait que 5 % seulement des tumeurs étaient enlevées avec succès et que le cinquième des épileptiques focaux opérés avait tiré bénéfice de l’intervention. Si l’on considère la totalité des opérations crâniennes effectuées dans un service actuellement et qui ont comporté une intervention cérébrale, la guérison opératoire est obtenue dans 95 % des cas. Soulignons que ces statistiques comportent l’ablation de nombre de tumeurs profondes dont il eût été autrefois déraisonnable d’envisager même l’abord.
En un demi-siècle, 1900-1950, la neurochirurgie a fait des pas de géant, et plusieurs hommes et divers moyens techniques l’ont aidé dans cette envolée.

         2) HARVEY CUSHING – LE MAITRE

Cushing apprend à suturer le cuir chevelu, ce qui est bien plus important que de savoir l’inciser, à réaliser une hémostase parfaite grâce aux clips d’argent posés sur les artères et grâce à l’usage bien réglé de bistouri et de la coagulation électrique, cependant qu’une aspiration puissante nettoie le champ opératoire. De Martel démontre la prévalence de l’anesthésie locale et l’intérêt de la position assise à laquelle la découverte des ganglioplégiques vient à fourni une nouvelle jeunesse. Clovis Vincent, analysant avec patience les réactions cérébrales, expose la nocivité de l’irritation des formations végétatives de la ligne médiane, l’importance de l’œdème cérébral et la manière de juguler.
« La vie de Harvey Cushing (1869-1939) a dit René Leriche, est l’histoire d’un grand esprit à la recherche d’un ordre nouveau ». Il est l’incontestable fondateur de la discipline nouvelle qui lui devra une rapide autonomie. Tous les neurochirurgiens du monde, même ceux qui n’ont pas subi directement son influence, opèrent aujourd’hui, soixante ans après sa mort, selon ses enseignements et ses principes. Il ne saurait être de plus bel éloge.
Après ses études à l’Université de Harvard, où il se montra déjà passionné de recherches physiologiques, il s’orienta vers la chirurgie et devint l’élève de William Halsted, de Baltimore, alors le plus illustre opérateur des Etats-Unis.
Dès la trentaine, il comprit ce que pourrait être la chirurgie nerveuse et, à l’Académie de Médecine de Cleveland, en 1904, alors qu’il se consacrait encore beaucoup à la chirurgie générale, il présenta une communication : The special field of neurological surgery. Le mot de neurochirurgie était créé, il ne restait qu’à « construire » une spécialité dont les bases restaient fragiles. Avec cette « persévérance de fer » dont parle Clovis Vincent, Harvey Cushing, aidé par toute une pléiade d’élèves auxquels il communiqua son enthousiasme et sa force de caractère, atteignit peu à peu le but qu’il s’est fixé. Vincent le décrit ainsi en sa pleine maturité : « c’était un petit homme maigre, sec, qui portait sur un cou grêle, comme les êtres racés intellectuellement, une tête altière au font large, qu’animaient des yeux noirs brillants et décidés.
Quand il eut réalisé d’importants progrès, il se rendit compte que le neurochirurgien devait non seulement savoir reconnaître une tumeur et son siège, mais qu’il lui fallait encore connaître sa nature histologique dont dépendaient les possibilités opératoires immédiates et le pronostic d’avenir. Il fut ainsi conduit avec son élève Percival Bailey à un essai de classification des néoformations intra-crâniennes. Leur livre sur les méningiomes fait toujours autorité.
Son labeur obstiné aboutit à la découverte d’un grand nombre de faits nouveaux, et d’entités morbides inconnues avant lui.
1912 fut la grande date de sa vie, quand il quitta Baltimore pour Boston ayant été nommé neurochirurgien chef du Peter Bent Brigham Hospital, où, pendant vingt ans, pourront s’épanouir toutes les possibilités de son génie.
Cushing, les quinze dernières années de sa vie, jouissait d’une renommée mondiale, disons plus, d’une vénération allant de ses assistants à ses nombreux admirateurs qui, de tous les points du monde, se pressaient à Boston pour recevoir sa parole et sa règle. Son influence était immédiate. Ses principaux assistants américains devenus par la suite d’éminents neurochirurgiens étaient Walter Dandy, Percival Bailey, Gilbert Horrax, Tracy Putnam, John Fulton. Les élèves étrangers ont été Norman Dott d’Edimbourg, Paul Martin de Bruxelles, Olivecrona de Stokholm, Hugh Cairns de Londres, Geoffrey Jefferson de Manchester, Walter Lehmann de Göttingen, et il faudrait encore citer bien des noms.
Cushing en 1931 pouvait faire état avec son équipe de deux mille cas de tumeurs cérébrales opérées. Enfin, consécration inhabituelle pour un chirurgien, il fut nommé en 1933 Professor of Neurology à l’Université de Yale.
Il serait injuste de limiter les débuts de la neurochirurgie américaine à Cushing, quel que soit l’éclat de sa personnalité.
Charles-Harrison Frazier (1870-1936) a été, dit Vincent, sur certains points « l’émule et le rival » de Cushing. On lui doit la cordotomie et la neurotomie rétrogassérienne.
Charles Elsberg, de New York, demeure également l’indiscutable pionnier de la chirurgie médullaire et l’on a pu dire qu’il avait été le « Cushing de la moelle ».
Mais l’homme le plus extraordinaire de la jeune neurochirurgie américaine, après Cushing, fut certainement Dandy (1886-1946), l’élève en même temps que l’ « antipode » de son maître. Inventeur de la ventriculographie, on sait l’apport pratique considérable réalisé, à partir de 1918, par la visualisation aérique du système ventriculaire. Dandy, d’une habileté technique prodigieuse, a été le premier à tenter et réussir, pour des tumeurs malignes et infiltrantes du cerveau, l’ablation complète de l’hémisphère atteint : c’est l’hémisphérectomie. Son traité de technique demeure un chef d’œuvre.

             3) CLOVIS VINCENT – L’EPOQUE HEROIQUE DE LA NEUROCHIRURGIE FRANCAISE

Vers 1925, la neurochirurgie en France a un retard de vingt ans sur la neurochirurgie anglaise et américaine. On parle peu dans notre pays, après la première guerre, de la nouvelle spécialité, à une époque où Cushing dirige depuis longtemps son service de Boston, et où, au National Hospital de Londres, Donald Amour et Sir Percy Sargent, s’efforcent de continuer les efforts de Victor Horsley. C’est alors que Clovis Vincent (1878-1947), personnalité extraordinaire, va rattraper l’écart en un temps extrêmement court : neurologiste formé par Babinski, rien cependant ne laissait prévoir que cet ennemi des concours et des réussites universitaires, allait avoir, la quarantaine largement dépassée, une destinée exceptionnelle.
Ses débuts sont inséparables de Joseph Babinski (1857-1932) et du chirurgien Thierry de Martel (1876-1940). Lorsque, à la fin de sa vie, on parlait à Babinski de son œuvre qui avait transformé la clinique neurologique traditionnelle, il restait évasif, sobre de paroles, ne se départissant de sa modestie naturelle que pour affirmer : « Mon meilleur titre de gloire sera d’avoir ouvert la voie à Martel et à Vincent ».
Le chirurgien de Babinski était Thierry de Martel. Cet aristocrate raffiné s’efforça d’adapter ses dons d’opérateur aux exigences de la chirurgie nerveuse. Son génie inventif lui permit de mettre au point une instrumentation qui, après plus de 50 ans, n’est pas démodée, et il préconisa, grand progrès pour l’époque, l’anesthésie locale dans les interventions cérébrales. Depuis longtemps, riche de l’enseignement de plusieurs voyages aux Etats-Unis , il avait vainement insisté auprès de Clovis Vincent pour qu’il se rendît sur place, afin de prendre lui-même conscience de la révolution qui, là-bas, était en train de s’accomplir sous l’impulsion de Cushing. C’est seulement en 1927 que Vincent se décida à partir pour l’Amérique : il fut ébloui par ce qu’il vit à Boston pendant les cinq semaines passées auprès de Cushing et en demeura marqué pour toujours. Dès son retour, il s’efforça d’appliquer les méthodes de diagnostic apprises aux Etats-Unis et, incapable de demeurer plus longtemps « spectateur », il devint le premier assistant de son ami Martel. Consacrant tout son temps à la neurochirurgie, connaissant à fond les réactions du système nerveux, Vincent obtenait, quand il opérait seul, de meilleurs résultats. Une rivalité sourde se développa, qui devait aboutir à une brouille définitive entre ces deux amis de vingt ans. Vincent pris alors, à 48 ans, la décision capitale de se faire définitivement chirurgien.
Tout chez lui était surprenant, « hors série » : son allure générale, ses gestes, sa démarche, sa manière d’articuler, son comportement (souvent imprévisible), ses conceptions originales, son mélange de timidité profonde et d’orgueil méprisant. En dépit de son caractère exigeant, ombrageux, quelque peu tyrannique, il forçait l’admiration affectueuse de ses collaborateurs.

En 1933, fait sans précédent dans les annales de l’Assistance Publique, la direction d’un service de chirurgie est confiée à un médecin : Vincent dispose enfin de moyens à la hauteur de ses conceptions et la jeune spécialité peut enfin prendre tout son essor. On constata alors que les statistiques françaises, en quelques années, s’étaient presque inversées. Lorsqu’on demandait à Vincent les causes de son succès, il répondait :

« si j’ai réussi, c’est que je savais comment était fait le cerveau, je souffrais avec lui pendant les opérations … Il faut traiter le cerveau comme le plus sensible et le plus vindicatif des êtres vivants ».

La première chaire de Clinique neurochirurgicale est créée en 1938 ; c’est l’apothéose. Clovis Vincent, dans sa leçon inaugurale le 26 janvier 1939, fait un vigoureux éloge de Mac Ewen, de Horsley, surtout de Cushing, tout en rendant un pieux hommage à Babinski, puis à Martel, malgré les graves différends qui ont séparé les anciens amis.
Il rend enfin pleine justice à Jean-Marie Sicard (1873-1929), neurologiste, et à son chirurgien Maurice Robineau. Sicard, de tempérament chirurgical, « médecin de la douleur » est l’inventeur du repérage des tumeurs comprimant la moelle par l’injection sous-arachnoïdienne de Lipiodol, découverte sensationnelle (1921). Quant à Robineau, en porte à faux sur son époque, ses qualités d’opérateur, lors d’interventions pour névralgies faciales ou tumeurs médullaires, étaient éblouissantes.
Il est regrettable que Vincent, après avoir évoqué Frazier, Dandy et Elsberg, dans son panorama de la neurochirurgie à la veille de la première guerre, ait oublié Otfrid Foerster (1873-1941) de Breslau, alors le plus éminent représentant de la jeune neurochirurgie allemande.
La première équipe de Vincent se disloque en 1939 quand Marcel David et Pierre Puech, ses assistants les plus anciens, quittent la Pitié. Cushing meurt la même année, Martel se suicide, un an plus tard, le jour de l’entrée des Allemands à Paris : l’époque héroïque de la neurochirurgie est terminée.
Vincent mène à la Pitié une activité de résistant et, au péril de sa liberté, refuse toujours l’entrée de son service aux occupants. Epuisé physiquement, il meurt en 1947.
Daniel Petit-Dutaillis, chirurgien des Hôpitaux, élève de Gosset, prend alors la direction de la clinique de la Pitié, service qu’il assurera avec la plus grande compétence jusqu’à sa retraite en 1960. Et, pour la première fois, en mars 1948, quatre neurochirurgiens des hôpitaux sont nommés en France : Marcel David, Jean Guillaume, Jacques le Beau et Pierre Puech. Parmi les pionniers de la neurochirurgie française, on doit compter également René Leriche (1879-1955), qui se tournera de plus en plus vers l’exploration du sympathique pendant que son élève et ami, Pierre Wertheimer, deviendra le chef de file de l’Ecole neurochirurgicale lyonnaise, dont il devient l’animateur. Toutes les grandes villes de notre pays ont aujourd’hui des services neurochirurgicaux dont la très grande activité rivalise avec ceux de la capitale.
Puech, qui doit mourir prématurément en 1950, développe le service que la préfecture de la Seine lui a ouvert en 1941, à Sainte-Anne, et l’oriente surtout vers la psychochirurgie ; Guillaume, dont les jours sont également comptés, n’a pas subi l’empreinte de Vincent, mais celle de Martel. Il affirme à la Salpêtrière (d’abord chez Henri Mondor, puis dans sa propre service) une virtuosité opératoire qui n’est pas sans rappeler celle de Dandy.
La suite est plus proche.. Laissons au Temps, « vieillard divin », le soin de faire lui-même sa sélection.

4) LE NEUROCHIRURGIEN, EXPLORATEUR DU CERVEAU HUMAIN

Si l’on désire connaître à quoi sert le cortex de l’homme, il n’est pas de meilleur ouvrage que celui écrit par W. Penfield, un des plus grands neurochirurgiens : opérant des épileptiques, sous anesthésie locale, il a eu la patience de noter toutes ses constatations et de dresser la carte du cerveau humain, chose qui n’aurait évidemment jamais pu être réalisée au seul laboratoire de physiologie.
Quant à la psychophysiologie ? aux mécanismes de la mémoire, de la conscience, des émotions, le neurochirurgien a contribué à leur connaissance de façon déterminante.
Nous savons maintenant qu’aucune image visuelle, auditive et autre ne nous parvient qu’elle ne se réfugie dans le lobe temporal d’où elle s’évadera plus tard quant un souvenir émergera dans notre conscience. Et nous savons que ces souvenirs sont retenus dans des circuits nerveux si heureusement connectés qu’il suffit d’une légère excitation électrique portée en un point de notre cortex temporal pour les faire obligatoirement réapparaître dans notre mémoire.
Nous savons également par Clovis Vincent, qui en déduisit la notion par ses seules observations anatomo-cliniques, et depuis lors par Penfield, qui la confirma par ses constatations neurobiologiques, que les phénomènes de conscience (pas l’esprit ni la pensée) se localisent dans la région centrale du cerveau, au niveau du diencéphale et du tronc cérébral supérieur.
Nous pensons, en outre, qu’une émotion ne peut se produire que tout autant que le thalamus et l’hypothalamus ont été mis en jeu et enfin que l’intelligence est incompatible avec la suppression des deux lobes frontaux.
N’est-ce pas que ces découvertes sont magnifiques et que la Neurochirurgie peut être fière d’avoir tellement contribué à leur recherche ! il y a pourtant une foule d’autres choses à découvrir et pas seulement les relations du cerveau et de la pensée, de l’organique et de l’inorganique, si tant est que l’explication en soit un jour fournie.
Quels buts devons-nous alors assigner aux tendances de la neurochirurgie moderne ?.

III – LA MATURITE DE LA SPECIALITE – LA NEUROCHIRURGIE « LESIONNELLE »

« La chirurgie nerveuse n’est pas la chirurgie générale, affirmait Clovis Vincent, il y a 60 ans. C’est une chirurgie en devenir. Ce qui est impossible aujourd’hui ne le sera pas demain … » Penfield exprimait le même sentiment, de manière plus pittoresque, en disant : « La neurochirurgie consiste en un ensemble de principes, oui, certes mais il y a quelque chose de plus, ajoutait-il, la promesse alléchante d’une découverte nouvelle. C’est cela qui fait d’elle une étonnante maîtresse … »
Adulte depuis soixante ans, la neurochirurgie est aujourd’hui dans le plein épanouissement d’une maturité chaque jour plus féconde, mais, également, comme « les vieilles maîtresses », chaque jour plus tyrannique, accablant ses supporters par des exigences de plus en plus difficiles à satisfaire et sans cesse accrues.
La complexité toujours plus grande des examens d’exploration diagnostique, l’apparition de techniques différentes des méthodes classiques, le perfectionnement continu des procédés de réanimation, la place chaque jour plus importante qu’occupent la rééducation post-opératoire et la réadaptation sociale expliquent aisément les problèmes singulièrement compliqués que posent les perspectives d’avenir d’une discipline encore en mouvement.
Celles-ci (infinies malgré déjà les prouesses accomplies) dépendent essentiellement de plusieurs ordres de facteurs qui se complètent mutuellement et découlent les uns des autres :

– Progrès dans nos connaissances thérapeutiques générales et dans une meilleure compréhension de la neurophysiologie cérébrale ;
– Progrès dans les procédés d’exploration qui débouchent sur des diagnostics plus précoces, de plus en plus précis (partant sur une amélioration des techniques et de la surveillance post-opératoire)
– Progrès dans l’organisation des services de la neurochirurgie avec le « problème humain » du recrutement de cadres compétents.

1) LES PROGRES DE LA THERAPEUTIQUE GENERALE ET DE LA NEUROPHYSIOLOGIE GENERALE

A) LES TUMEURS DU CERVEAU

Les tumeurs du cerveau représentent 50 % de l’activité de nos services et n’échappent pas aux lois de la pathologie générale : avec l’évolution de la cancérologie, il est légitime d’espérer, tout au moins à propos des gliomes, que la chirurgie d’exérèse se réduira peu à peu au profit de thérapeutiques chimiothérapiques, radioactives ou autres , génétiques en particulier .
L’apparition de nouvelles méthodes opératoires, coagulation bipolaire, microscope opératoire, surveillance en réanimation ont permis de s’attaquer aux lésions de plus en plus profondes et de plus en plus cachées.
Les techniques de repérage stéréotaxiques surtout, permettent de réaliser des « biopsies » sans opérer. Il s’agit du premier mode de chirurgie « à ciel fermé ». Actuellement, ces techniques sont courantes dans la plupart des services de neurochirurgie. Le rôle prédominant de l’école française avec Jean Talairach doit être retenu.

B) LA NEUROCHIRURGIE VASCULAIRE

La naissance de l’artériographie et la possibilité de réaliser cet examen sans risque pour le patient ont permis des progrès considérables pour le traitement des malformations vasculaires responsables d’hémorragies intra-crâniennes. Actuellement, cette pathologie est maîtrisée sur le plan chirurgical grâce également à l’apport de la coagulation bipolaire et du microscope opératoire, techniques diffusées par l’école de Zurich (Yasargyl) dans les années 1970. Mais depuis plusieurs années s’organise la neuroradiologie vasculaire d’intervention, véritable discipline qui nécessite une organisation de plus en plus autonome. Ces techniques utilisent une voie endovasculaire pour supprimer une malformation , thromboser des vaisseaux anormaux ou dilater des sténoses vasculaires .

C) LA NEUROCHIRURGIE TRAUMATIQUE ET REPARATRICE

Le développement rapide de techniques diagnostic et thérapeutiques est imposé par l’urgence chirurgicale traumatique en particulier. L’informatique nous apporte déjà de nombreux éléments d’ordre pratique. Le changeur automatique de films d’usage courant implique un programmeur qui obtient une angiographie en quelques minutes, de même que les conditions d’injection de produit de contraste sont de plus en plus contrôlées électroniquement.
La surveillance électronique des opérés est devenue fréquente. La machine surveille le pouls, la température, la respiration, la pression intra-crânienne directement mais ne supprime pas la surveillance humaine, qui seule, permet d’apprécier l’altération de la conscience, dont les modifications restent, en définitive, l’information capitale pour guider la conduite du chirurgien.
Tout cela demande la compréhension des responsables de la Santé Publique, beaucoup d’argent, beaucoup de patience et de ténacité pour les neurochirurgiens, enfin, et surtout, des hommes dont le recrutement, la formation technique et la promotion, dans les filières hospitalières et universitaires existantes ou à créer, permettent, avec une souplesse suffisante, de laisser toujours la porte entrouverte afin d’incorporer des sujets d’élite ou ceux qui seront les initiateurs de techniques imprévisibles actuellement.

2) LES TECHNIQUES D’EXPLORATION

L’angiographie est loin d’avoir donné sa mesure. Les prochaines générations neurochirurgicales souriront devant les angiogrammes actuels. Des vaisseaux de plus en plus fins ont été définis. On mesure le débit carotidien qui a déjà été l’objet de recherches très poussées par l’Ecole neurochirurgicale de Toulouse . Actuellement , les progrès à venir sont à prévoir dans les techniques de plus en plus fiables de neuroradiologie interventionnelle .

La Gamma-encéphalographie – Nous ne pouvons que souscrire à ces lignes de Mme Planiol. Les explorations radio isotopiques du système nerveux depuis l’apparitions de la tomodensitométrie ne sont plus utilisées actuellement en pratique quotidienne .
« La gamma-encéphalographie est la plus biologiques des méthodes d’investigation cérébrale car elle intéresse tous les tissus pathologiques : vaisseaux, parenchyme, espace intercellulaire ou intracellulaire selon les cas. »

Dans le domaine du diagnostic, la séméiologie neurologique est affinée au contact d’une physiopathologie plus précise.

Bailey a classé les tumeurs, afin de prévoir, suivant l’histologie, leur pronostic.

Sicard, par sa méthode au lipiodol, dessine sous les rayons X les compressions médullaires.

Mais surtout , plus tard , à partir de 1972 ( Housfield prix Nobel ) , la tomodensitométrie fut une véritable révolution en matière d’imagerie du système nerveux .Il s’agit toujours d’ une application des rayons X .Elle est efficace dans le domaine du diagnostic des affections du système nerveux ,elle est atraumatique , rapide et très informative .Actuellement , la multiplication des installations se justifie malgré le risque de voir s’estomper l’intérêt de l’examen clinique neurologique du patient .Les progrès ne se feront dans ce domaine que par une meilleure connaissance de l’anatomie ,de la clinique neurologique et de la neurobiologie .Il s’agit de l’examen clé de la pathologie neurologique de l’encéphale .
La résonance magnétique nucléaire utilisant les phénomènes magnétiques des corps chimiques cellulaires permet actuellement une imagerie tridimensionnelle du système nerveux et même dans des indications bien précises une image de la zone fonctionnelle active ou pathologique .

On a inventé des moyens mécaniques pour interroger le cerveau : Dandy le rend visible en remplissant d’air ses cavités ventriculaire ; Egas Moniz prix Nobel 1949 en injectant un composé iodé dans sa circulation artério-veineuse en 1927 ; On a enfin utilisé des moyens physiques pour enregistrer les variations de ses ondes électriques après que Berger eut découvert l’électroencéphalographie et que Grey Walter, Jasper et d’autres en tirent l’application à l’étude de la pathologie cérébrale.

A la mort de Cushing, 1939, puis de Clovis Vincent en 1947, la neurochirurgie était depuis longtemps parvenue à l’âge adulte .
Nous vivons encore l’âge de cette neurochirurgie lésionnelle dont les bienfaits ne se comptent plus : outre les tumeurs du cerveau et de la moelle, il faut rappeler le traitement raisonné et non plus empirique des traumatismes crânio-cérébraux, des abcès du cerveau ; la guérison si simplement obtenue dans le traitement des sciatiques dites rhumatismales par l’ablation ou la réduction de la hernie discale, le traitement des atrophies optiques quand elles sont dues à la compression du nerf, le traitement de certaines hémorragies méningées ou cérébrales par action sur l’anévrysme ou l’angiome et par évacuation du sang épanché, le traitement de certains ramollissements cérébraux par interventions endovasculaires .

3) LA NEUROCHIRURGIE « FONCTIONNELLE »

Mais voilà que s’est ouverte durant les années 60, une troisième période de neurochirurgie à visées fonctionnelles. Déjà, une meilleure connaissance des voies cérébro-spinales de la douleur avait permis de soulager nombre de malheureux en proie à des souffrances atroces, victimes d’un cancer neurophile par exemple, ou bien de guérir l’épouvantable maladie, jusqu’alors incurable, qu’est la névralgie faciale essentielle. Mais, visant plus loin encore, la neurochirurgie se propose maintenant de traiter certaines formes d’épilepsie, de mouvements normaux , de démences.
Il parait que la première opération pour épilepsie effectuée avec des procédés modernes, a été réalisée le 25 mai 1886 , par Horsley, à Queen Square : un jeune homme de 22 ans, ayant eu un traumatisme crânien à 7 ans, présenta à partir de 15 ans des crises qui devinrent peu à peu si fréquentes que 2.870 furent dénombrées lors de ses 13 premiers jours d’hospitalisation. Sur les seules données cliniques, Horsley fit le diagnostic du siège de la cicatrice épileptogène, il la réséqua largement et le malade fut guéri. Cette remarquable observation comportait les éléments de base sur lesquels les travaux modernes ont mis l’accent : existence d’un traumatisme de l’enfance, cicatrice cérébrale évolutive, excision du tissu malade en totalité jusqu’au tissu sain.
Ce fut l’œuvre de Foerster, c’est l’œuvre de Penfiels, c’est celle de tous ceux, qui dans le monde, se penchent avec passion sur le problème douloureux de l’épilepsie.
Pour la chirurgie des mouvements anormaux, le problème n’est pas très différent, mais il comporte encore plus d’inconnues : il s’agit de supprimer par section ou excision les voies ou les centres responsables de l’impulsion motrice parasite. Heureusement nous connaissons depuis peu , grâce aux neurochirurgiens qui ont étudié par stéréotaxie les fonctions des zones les plus profondes de l’encéphale , le siège des lésions originelles et les voies empruntées par les influx nerveux pathologiques. Et c’est dire le mérite, des chercheurs attentifs qui s’efforcent par les méthodes stéréotaxiques, de détruire le mal dans les régions les plus profondes du cerveau. Ces méthodes nous permettent déjà d’envisager si cela s’avère bénéfique l’implantation de cellules ou de substances directement au niveau des zones malades .
Il n’est pas jusqu’aux maladies mentales, vous le savez, que la neurochirurgie n’ait eu l’ambition de guérir (Egaz Moniz 1936)

IV) LES APPORTS ACTUELS DE LA SPECIALITE : LES VOIES D’AVENIR

1) La Chirurgie assistée par Ordinateur :

Cette technique, en cours de diffusion, doit assurer à l’acte chirurgical, une précision parfaite. Elle doit permettre, en couplant les images neuro-radiologiques avec la vision directe de la caméra en salle d’opération, de réaliser des interventions avec une précision « virtuelle » et avec une précision d’un geste jamais égalé et cependant contrôlé.
Doit-on envisager pour les prochaines années, une chirurgie « robotisée » sans neurochirurgien ?!

2) La Neuro-Endoscopie :

Elle consiste à introduire à travers un minime trou de trépan , une fibre optique dans les cavités ventriculaires et à réaliser des gestes de diagnostic ou de traitement a travers le même guide .

3) Perspectives d’avenir :

Tous ces procédés diagnostiques et thérapeutiques souvent se pratiquent à l’aide d’une imagerie « numérisée » et donc transmissible à distance et pouvant être archivée facilement.
Les équipes interviennent dans le diagnostic et le traitement, pouvant donc, dans l’instant, échanger informations, et même traitement à distance, mais là encore et peut-être de façon beaucoup plus évidente qu’auparavant, il faudra « un chef d’orchestre » et une harmonie dans les décisions et les gestes éventuels. Le neurochirurgien aura toujours une place prépondérante auprès du patient pour mettre en œuvre, contrôler et décider au sein de l’unité administrative hospitalo-universitaire .

C’est pourquoi, la formation du neurochirurgien est un très long apprentissage. L’initiation à la neurologie clinique prépare à la maîtrise du diagnostic. Il est nécessaire de connaître parfaitement l’anatomie et la physiologie du cerveau avant d’avoir l’audace d’opérer. Les livres sont certes utiles mais ils doivent surtout servir de guides aux nécessaires dissections faites à l’amphithéâtre en anatomie et aussi le regard posé sur le microscope tant opératoire qu’anatomo-pathologique.
Le jeune en formation doit confronter ce que le malade dit avec son examen clinique, puis essayer de situer la lésion exactement dans la région anatomique intéressée, d’en définir la nature. Il doit pouvoir interpréter lui-même un examen issu des technologies récentes et lui accorder sa véritable valeur, notamment en fonction des données cliniques. Cela rappelle ce que dit un jour Thierry de Martel à Clovis Vincent : « connaissant le cerveau comme tu le connais, c’est toi qui devrais opérer à ma place. Tu auras plus vite fait d’apprendre la chirurgie que moi la neurologie ».
Devenu l’assistant de son Maître, le jeune neurochirurgien opère à son tour sous sa direction et avec son aide : les tâches sont inversées, le bonheur est le même pour les deux opérateurs. Bientôt le disciple s’efforcera de dépasser le Maître et à son tour, il fera savoir à un plus jeune ce qu’il sait. Ainsi naîtra et progresser un savoir collectif, une « école » neurochirurgicale. A la maturité, le neurochirurgien maintiendra ses acquis et s’efforcera chaque jour de les perfectionner. Le neurochirurgien vit aujourd’hui une période de haute technicité si magnifique et si envahissante qu’elle le soumet à la tentation du diagnostic facile fondé sur une image et de geste élémentaire effectués au moindre effort ; s’il les accepte sans critique, les déceptions seront grandes .Pour soigner les malades la pertinence du diagnostic et l’intelligence de l’intervention devront être toujours la règle.

EN CONCLUSION : les voies actuelles de l’expérience neurochirurgicale comprennent des échecs avec toujours le problème du traitement des tumeurs cérébrales malignes, les voies de la génétique seront-elles possibles ? et des succès avec des gestes de plus en plus précis et pourquoi pas « robotisés ».

Complétant l’ancienne méthode anatomo-clinique française, la neurobiologie moderne n’a donc pu se développer qu’avec l’appui de la neurochirurgie dont la neuroradiologie est issue avec les immenses succès et les promesses qu’elle comporte.
La psychiatrie a du également modifier ses conceptions depuis l’avènement de la lobotomie et de ses variantes ; et l’on a vu apparaître des essais d’explications organicistes dans le royaume de la psychologie pure.
Que dire, enfin, des présents faits par le neurochirurgien au physiologiste ? L’on avait appris l’absolue nécessité de l’existence du cortex cérébral pour la genèse des mouvement de l’enregistrement des sensations. Mais entre-temps des opérateurs étaient venus, qui, notant avec minutie leurs constatations, enseignèrent une répartition différente des localisations cérébrales et la valeur des suppléances.

Depuis Platon, nous vivons sur une conception métaphysique qui situe l’âme pensante , divine , immortelle dans la tête, tout risque de «pollution » par l’âme mortelle étant écartée par la séparation du cou. Cette conception a été contestée par Aristote qui plaçait l’âme au niveau du cœur, source de vie, de mouvements, de chaleur alors que le cerveau est froid, blanc, insensible.
Pour nous, c’est au niveau du cerveau que s’exprime au mieux l’ensemble dynamique et harmonieux de la machine humaine. Le cerveau donne à l’homme sa signification intellectuelle et sprirituelle. Il est le point d’aboutissement d’un mouvement évolutif loin encore d’être terminé. Les combinaisons de ses 14 milliards de cellules sont infinies et ses médiateurs chimiques sont encore pour la plupart à découvrir .
Le neurochirurgien, par ses observations sur ses malades et leurs réactions à ses gestes de plus en plus « fonctionnels » doit rester aux avants-portes de cette recherche et devant les écueils et les difficultés, dans son long cheminement , Il aura toujours l’espérance et la guérison de ses patients et la joie secrète d’apaiser et de dispenser la douceur , privilège immense qu’il partage avec ses collègues médecins. Il garde en mémoire la devise de Guillaume D’Orange qu’avait faite sienne Monsieur le Professeur Paillas « point n’est besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer».

Bernard Alliez

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