Lombosciatalgie aiguë – Traitement conservateur et traitement chirurgical
Une lombosciatalgie aiguë n’est pas uniquement due à une compression radiculaire d’origine purement mécanique, mais est également engendrée par une irritation chimique au niveau du tissu discal. Cela explique également l’évolution spontanée souvent favorable et la bonne réponse aux anti-inflammatoires non stéroÏdiens (AINS). Un blocage des racines nerveuses (infiltration de corticoïdes sous contrôle scopique) peut être d’une grande utilité, tant diagnostique que thérapeutique. Après exclusion d’un dysfonctionnement vésico-rectal et d’une parésie sévère (indication d’urgence), le traitement conservateur sera choisi en première intention, les chances de succès étant excellentes (90%). C’est seulement en cas de persistance des douleurs malgré la mise en ¦uvre intensive de mesures conservatrices qu’une décompression chirurgicale des racines nerveuses est indiquée. La décompression chirurgicale des racines nerveuses est en l’occurrence davantage susceptible de réussir et s’avère aussi plus efficiente en termes de coûts que la poursuite du traitement conservateur.
Par comparaison avec les douleurs lombaires, lesquelles ont une prévalence à vie de plus de 80%, la lombosciatalgie est beaucoup plus rare (2-3%). La cause la plus fréquente du syndrome radiculaire est une hernie discale lombaire et, beaucoup plus rarement, une sténose foraminale. En outre, des modifications d’ordre purement musculaire peuvent entraîner une irradiation de la douleur sans relation avec un territoire radiculaire précis (douleurs pseudo-radiculaires) et être à l’origine d’une lombosciatalgie. De même, une dégénérescence des disques intervertébraux (discopathie) ou une arthrose facettaire (syndrome facettaire) peuvent s’accompagner de douleurs pseudo-radiculaires dans la jambe (irradiation ne dépassant en général pas l’articulation du genou). Le tour d’horizon qui suit se limite aux possibilités thérapeutiques dans le cadre d’un syndrome radiculaire.
Pathogenèse
Alors que l’on pensait autrefois que la lombosciatalgie avait pour origine une compression des racines nerveuses d’ordre purement mécanique, il semble que l’irritation chimique [1,2] joue un rôle considérable, et probablement même plus important . Des études expérimentales menées chez l’animal ont montré qu’une infiltration épidurale de nucleus pulposus autologue, même sans compression, entraînait une réduction significative de la vitesse de la conduction nerveuse au niveau des racines nerveuses de la queue de cheval. On avance comme causes possibles de ce phénomène des réactions auto-immunes, des modifications microvasculaires et des réactions inflammatoires [3]. Le nucleus pulposus exerce une activité inflammatoire qui conduit à la formation d’un ¦dème intraneural, lequel semble être un facteur pathogénique important dans le développement d’une lombosciatalgie [4]. L’effet nocif du nucleus pulposus sur la racine nerveuse peut être nettement réduit par l’administration de méthylprednisone [5]. Le ralentissement de la vitesse de conduction nerveuse provoqué par le nucleus pulposus semble toutefois «s’autolimiter». L’expérimentation animale a démontré que cet effet est à son maximum au bout de 7 jours et qu’il se normalise spontanément en l’espace de 2 mois [6]. Ces observations pourraient expliquer pourquoi la lombosciatalgie présente une évolution spontanée très favorable. Dans la plupart des cas, un syndrome radiculaire irritatif et déficitaire sensitivo-moteur léger ne nécessite une opération que si la douleur initiale ne peut pas être bien contrôlée ou que si elle ne répond que de façon insatisfaisante au traitement conservateur. Lorsque la douleur dans la jambe, souvent très violente, peut être contrôlée, il n’est pas nécessaire de recourir à une opération et l’on peut s’attendre à un rétablissement [7].
Signes cliniques
Un signe caractéristique de syndrome radiculaire est la prédominance de douleurs au niveau de la jambe. Le symptôme cardinal est une douleur radiculaire dans la jambe (c’est-à-dire une irradiation sur un territoire radiculaire précis), avec ou sans syndrome déficitaire sensitivo-moteur (voir Tableau 1). Les douleurs dorsales jouent un rôle secondaire ou peuvent même faire totalement défaut. Dans de nombreux cas, on note une douleur typique à la pression, à la toux ou à l’éternuement. A l’examen clinique, on observe un signe de Lasègue positif (douleurs dans la jambe irradiant sur un territoire radiculaire précis à l’élévation de la jambe homolatérale). Un signe de Lasègue controlatéral (douleurs dans la jambe irradiant sur un territoire radiculaire précis à l’élévation de la jambe controlatérale) a une haute valeur prédictive en faveur de l’existence d’une hernie discale.
Bien que des parésies peu sévères (mouvement encore possible contre une résistance légère) ne constituent pas une urgence diagnostique, l’existence d’une parésie de grade élevé (mouvement devenu impossible contre une résistance légère) nécessite en urgence de plus amples investigations diagnostiques dans un centre de la colonne vertébrale. Il est par ailleurs particulièrement important d’interroger spécifiquement le patient sur l’existence éventuelle d’un dysfonctionnement rectal ou vésical afin d’exclure un syndrome de la queue de cheval ou un syndrome du cône terminal.
On observe avec étonnement que les patients ne parlent pas spontanément de dysfonctionnement vésical ou rectal ni de troubles de la puissance sexuelle, même importants, parce qu’ils n’établissent pas de relation directe entre ces troubles et leurs problèmes de dos. Les troubles de la vidange vésicale sont beaucoup plus souvent en relation exclusive avec la douleur [8]. Par principe, il faut toujours, pour le diagnostic différentiel, penser à l’éventualité d’une tumeur ou d’une infection (spondylodiscite).
Tableau 1
Signes cliniques
Syndrome radiculaire
- douleurs radiculaires dans la jambe (irradiation de la douleur sur un territoire radiculaire précis)
- syndrome radiculaire irritatif
- syndrome déficitaire sensitivo-moteur (en général de topographie L5 ou S1)
- douleurs dorsales (légères ou absentes)
- douleurs radiculaires dans la jambe à la toux, à la pression ou à l’éternuement
- signe de Lasègue positif
Syndrome du cône terminal
- paralysie flasque de la vessie (incontinence de regorgement)
- incontinence rectale
- impuissance
- anesthésie en selle (S3-S5)
- abolition du réflexe anal
Syndrome de la queue de cheval
- douleurs à forme de sciatique
- paralysie flasque des jambes (plus ou moins symétrique)
- troubles radiculaires sensitifs au-dessous de L3
- aréflexie
- incontinence vésicale ou rectale
- troubles de la puissance sexuelle
Imagerie médicale
L’investigation diagnostique de première intention lors de lombosciatalgie aiguë est la tomographie par résonance magnétique (TRM); elle est supérieure à la tomodensitométrie quant à sa valeur diagnostique. Bien que la valeur diagnostique des radiographies classiques soit plutôt faible dans le cas d’une lombosciatalgie aiguë, ces clichés s’avèrent utiles pour interpréter correctement la TRM. Mais on n’est pas obligé de procéder à une TRM pour diagnostiquer toute lombosciatalgie si l’on peut exclure une parésie importante ou un dysfonctionnement vésico-rectal (voir Tableau 2). Le taux élevé de hernies discales asymptomatiques (20-76%) soulève toutefois la question de la valeur diagnostique de la TRM pour mettre en évidence une hernie discale. Aussi le blocage des racines nerveuses est-il un examen utile dans les cas douteux ou lorsqu’il y a compression de plusieurs racines. Le blocage d’une racine nerveuse permet d’anesthésier la racine nerveuse “suspecte” et, par conséquent, de renseigner sur son implication dans le processus douloureux.
Tableau 2
Indications de TRM en cas de lombosciatalgie
- suspicion de tumeur ou d’infection
- dysfonctionnement vésico-rectal
- parésie sévère (mouvement devenu impossible contre la pesanteur)
- parésie légère (mouvement encore possible contre une résistance légère) persistant depuis plus de 3 semaines
- syndrome radiculaire irritatif persistant depuis plus de 6 semaines
Traitement conservateur
Le traitement conservateur (voir Tableau 3) et le traitement chirurgical d’une hernie discale sont plus ou moins équivalents au niveau des résultats cliniques après un laps de temps de quatre à dix ans [9]. Dans le cadre de la même étude, il a été démontré qu’en cas de parésie sensitivo-motrice le traitement chirurgical n’était pas supérieur au traitement conservateur en ce qui concerne la récupération fonctionnelle de la racine nerveuse. C’est la raison pour laquelle, après exclusion d’un dysfonctionnement vésico-rectal et d’une parésie importante (mouvement devenu impossible contre la pesanteur), le traitement de première intention n’est pas chirurgical. Le problème fondamental du traitement conservateur est que les troubles mettent souvent longtemps à disparaître et que les patients ne peuvent reprendre leur activité normale qu’après une période relativement longue. Dans le cadre d’un traitement conservateur, le repos au lit ne présente pas d’avantages par rapport à l’activité normale [10]. En cas de violentes douleurs aux jambes, il est toutefois inévitable de garder plus ou moins le lit pendant une brève période (moins de trois jours). On ne peut pas porter de jugement concluant sur l’efficacité de la plupart des méthodes thérapeutiques conservatrices, étant donné qu’il n’existe pas d’études prospectives randomisées sur la question. Aussi n’a-t-il pas été possible de procéder à une méta-analyse sur l’efficacité des AINS, des manipulations de traction, de la physiothérapie et des corticoïdes administrés par voie i.m. dans le cadre d’une lombosciatalgie aiguë. En revanche, il semble que le recours à la médecine manuelle soit efficace [11]. Mais, étant donné que pour les douleurs dorsales aiguës l’efficacité des AINS, des myorelaxants et de la physiothérapie a été démontrée, il paraît justifié de recourir à ces mesures conservatrices en cas de lombosciatalgie également [12]. L’expérience clinique indique clairement que cette démarche est efficace. L’efficacité thérapeutique d’un bloc épidural dans la lombosciatalgie aiguë est controversée. [13, 14]. En revanche, il a été démontré que, chez 60% de nos patients présentant une indication opératoire nette, le blocage des racines nerveuses (infiltration d’un corticoïde dans la racine nerveuse sous contrôle scopique) entraînait une disparition rapide des troubles, de telle sorte que l’opération pouvait être évitée [15]. L’efficacité thérapeutique de ce procédé a également été démontrée dans une étude prospective randomisée à double insu [16]. Le blocage des racines nerveuses est une méthode thérapeutique conservatrice d’appoint très efficace en cas de radiculopathie légère. Aussi est-elle recommandée comme traitement non chirurgical de première intention en présence d’un syndrome radiculaire irritatif et déficitaire aigu. En cas de persistance d’une lombosciatalgie sévère, il ne faut pas refuser l’opération au patient, car le traitement conservateur donne dans ce contexte des résultats insatisfaisants [17].
Tableau 3
Traitement conservateur
– anti-inflammatoires non stéroïdiens
– repos au lit plus ou moins strict (uniquement au stade aigu et limité à 3 jours)
– bloc épidural lombaire ou sacré (en cas d’atteinte de plusieurs racines nerveuses)
– blocage radiculaire thérapeutique (en cas d’atteinte d’une racine nerveuse)
– manipulations
– éventuellement, physiothérapie et myorelaxants
Traitement chirurgical
Une indication opératoire absolue est l’existence d’un dysfonctionnement vésico-rectal (syndrome de la queue de cheval/syndrome du cône terminal) ou d’une parésie de plus en plus marquée ou de grade élevé (mouvement devenu impossible contre la pesanteur). Beaucoup plus fréquentes sont les indications opératoires relatives, qui résultent de la persistance des troubles après la mise en ¦uvre d’un traitement non chirurgical. Parmi elles, un syndrome déficitaire sensitivo-moteur qui ne répond pas au traitement conservateur (poursuivi pendant plus de six semaines). Une indication opératoire relative est également constituée par un syndrome radiculaire irritatif présent depuis plus de trois mois ou par des épisodes récidivants fréquents de syndrome radiculaire irritatif. Aujourd’hui, on s’accorde à recommander comme technique opératoire une mini-discectomie (avec lampe frontale et lunettes-loupe) ou une micro-discectomie (avec microscope). Les techniques percutanées (nucléolyse, discectomie arthroscopique et discectomie laser) se sont avérées nettement moins bonnes à long terme. Elles ne sont plus recommandées actuellement ou sont réservées à des indications rares (une hernie discale en situation foraminale avec séquestre, par exemple). On peut attendre de la discectomie classique des résultats bons à très bons chez 75-90% des patients. Le taux de complications chirurgicales est inférieur à un pour cent. Chez environ 10% des patients, il se produit une récidive de la hernie discale, ce qui dépend par ailleurs du degré de dégénérescence du disque. En cas de dégénérescence légère de ce dernier, le risque est nettement accru du fait que le nucleus pulposus est encore gélatineux, et il peut se produire une récidive précoce (en l’espace de quelques jours). Une analyse de la littérature effectuée dans le cadre de la «Cochrane Collaboration» a révélé que l’efficacité d’une mini-discectomie ou d’une micro-discectomie classiques était clairement démontrée [18]. En cas de persistance d’un syndrome radiculaire irritatif ou déficitaire s’accompagnant de signes morphologiques clairs, l’opération est également plus efficiente en termes de coûts par rapport au traitement conservateur.
Tableau 4
Indications opératoires en cas de syndrome radiculaire
- dysfonctionnement vésico-rectal (syndrome de la queue de cheval/ syndrome du cône terminal)
- parésie de plus en plus marquée ou sévère (mouvement devenu impossible contre la pesanteur)
- syndrome déficitaire sensitivo-moteur persistant malgré un traitement conservateur de plus de 6 semaines
- syndrome radiculaire irritatif persistant malgré un traitement conservateur de plus de 3 mois
- récidives fréquentes de syndrome radiculaire irritatif.
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